Didier Lestrade, « Le mouvement LGBT est un mouvement Blanc »

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Cofondateur d’Act Up, du magazine Têtu et du site Minorités, Didier Lestrade participait il y a quelques semaines au jury des Y’a Bon Awards, une cérémonie qui décerne chaque année une banane d’or aux personnalités auteures de propos racistes. Regards, partenaire de l’événement, a rencontré cette figure historique du mouvement LGBT, l’occasion de faire le point sur la fameuse convergence des luttes.

Regards.fr. Pourquoi avez-vous accepté de participer au jury des Y’a Bon Awards ?

Didier Lestrade. Je m’y intéresse depuis le départ, chaque année je regarde qui est nominé. Je l’ai pris comme une marque de générosité de leur part. La création, il y a quatre ans, du site Minorités.org nous a rapproché de tout un courant de contestation. Ce site vise à rassembler des points de vue minoritaires de personnes qui souffrent du racisme ou qui sont mal insérées dans la société. Il y a des questions qui nous rassemblent, comme par exemple : comment on peut être gay et musulman ? Nous sommes en train de réaliser que l’arrivée de la gauche au pouvoir ne nous facilite pas du tout le travail. Le côté républicain universaliste nous marginalise encore davantage.

Au sein des manifestations pro mariage pour tous, à part peut-être les Panthères roses et quelques rares autres groupes, le mouvement LGBT est resté circonscrit à la question du mariage. Comment expliquez-vous cette absence de convergence des luttes ?

D’abord, Ça fait plusieurs années que les gays, les lesbiennes, les bis, les trans se reposent sur le travail des associations, mais comme le tissu associatif LGBT est complètement aux mains du PS – comme SOS racisme – ça restreint le débat. Ensuite, pendant toutes les années Sarkozy, le mouvement gay se disait : « Il n’y a rien à faire ». Et quand la gauche est arrivée au pouvoir, elle n’a pas su tirer les leçons de la façon dont l’adoption du mariage homo s’est déroulée en Espagne ou au Portugal. Elle a sous estimé la violence de la réaction et de l’opposition. Le mouvement gay ne s’est pas organisé, et le mouvement sida qui est historiquement très fort n’est pas intervenu : pas de prise de parole, pas de financement, pas de soutien. Enfin, au lieu d’élargir le débat sur ce que signifie être LGBT aujourd’hui, le mouvement s’est restreint à celui du mariage. C’est pourquoi la PMA et la GPA ne sont pas votées, on a donc le mariage gay mais on ne peut pas avoir d’enfant. Les gens ne se sont pas mobilisés pour la PMA et la GPA du fait de l’inorganisation du mouvement LGBT, de l’absence de convergence. Ils ont également constaté que c’était un mouvement blanc, qui n’arrive pas à inclure des minorités ou des personnes un peu différentes : les freaks, les gens des banlieues, des provinces. On est vraiment dans un mouvement assujetti au PS donc blanc. La qualité du débat s’en est nettement ressentie. La lutte contre le racisme est vraiment au point zéro dans le mouvement LGBT. Pourtant, on est vraiment dans une société qui est dans la haine de la différence, de l’islam. Moi, je me suis beaucoup opposé au discours de Caroline Fourest [[Caroline Fourest a reçu un Y A Bon Awards en 2012 pour avoir dénoncé “des associations qui demandent des gymnases pour organiser des tournois de basket réservés aux femmes, voilées, pour en plus lever des fonds pour le Hamas” lors de la Convention du PS sur l’égalité réelle, le 11 décembre 2010.]] [nominée au Y a Bon Awards en 2012, ndlr], qui est aujourd’hui le discours dominant. Par rapport à tout ça, le mouvement gay à l’air d’un mouvement de nantis, qui veulent se marier, avoir des enfants.

La cérémonie arrive quelques jours après le décès d’un militant antifasciste et antihomophobe, Est-ce que ça donne une résonance particulière à cette soirée ?

Les gens meurent, se font rouer de coups, subissent des ratonnades… Ça me rappelle énormément ce que je voyais dans les années 1980. À l’époque, j’étais un skin de gauche, je me suis fait tabasser. Dans le même temps, la société est beaucoup plus ouverte, plus tolérante, la jeunesse est moins coincée. Les gays ne sortent plus uniquement entre eux. Mais je sens une tension dans la ville parce que les rapports de force ne sont pas créés. Bertrand Delanoë ne fait pas grand-chose, comparativement au maire de Berlin. Il craint toujours de faire du prosélytisme s’il défend certaines positions. Aujourd’hui, de nombreux groupes minoritaires se trouvent attaqués par la bonne pensée socialiste et c’est inquiétant.

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