Fermeture de l’Hôtel Dieu, « Aux urgences, plus les gens attendent, plus ils meurent »

Hôtel Dieu

Hier, les personnels des urgences de l’Hôtel Dieu organisaient un rassemblement devant le ministère de la Santé pour protester contre la fermeture de leur service prévue le 4 novembre. Entretien avec Gérald Kierzek, urgentiste engagé.

Regards.fr. Quel est l’objectif de ce rassemblement devant le ministère de la Santé ?

Gérald Kierzek. On interpelle la ministre de la Santé qui avait assuré le 10 juillet qu’il n’y aurait pas de fermeture des urgences de l’Hôtel Dieu au 4 novembre. Or force est de constater que l’AP-HP [[Assistance publique des hôpitaux de Paris.]] a fait exactement l’inverse puisqu’elle envisage de fermer le service le 4 novembre. Donc, soit la ministre ne se fait pas respecter, ce qui est ennuyeux, soit elle a donné des instructions pour qu’en dépit de ce qu’elle dit officiellement il y ait, officieusement, un démantèlement qui soit acté.

Concrètement, comment l’administration procède-t-elle ?

Tous les moyens sont bons pour assécher les urgences de l’Hôtel Dieu. La préfecture de police a donné l’ordre aux pompiers de ne plus amener de patients. Le 4 novembre, il n’y aura plus d’interne dans le service. Les conditions de travail sont rendues tellement difficiles, rien que ce mois-ci trois médecins ont démissionné, et un autre est parti avec son poste. Les médecins subissent des pressions et comme il y a des postes d’urgentistes partout, ils partent ailleurs. Quant au personnel administratif, ils ont reçu début juillet des fiches de mobilité. Et l’encadrement paramédical, qui est la courroie de transmission de la direction, exerce sur eux une pression complètement dingue en leur disant « remplissez vos fiches, si vous ne prenez pas le poste à Saint-Antoine, il risque d’être pris ». Bref, c’est un véritable assèchement des ressources humaines, le 4 novembre on va se retrouver à poil!

Vous même, vous avez subi des pressions ?

J’étais responsable d’unité du SMUR et j’ai été démis de mes fonctions en juillet. J’ai reçu un courrier m’informant que compte tenu de mes positions on me démettait de mes responsabilités administratives. C’est une action qui a valeur d’exemplarité pour le personnel médical. Soit ils se soumettent, soit ils sont démis. C’est aussi une des raisons pour lesquelles les gens démissionnent.

Selon vous, quelles seront les conséquences de la fermeture du service des urgences de l’Hôtel Dieu ?

Sur un plan financier, c’est totalement aberrant. Les urgences ont été refaites il y a quatre ans. Les lits d’hospitalisation, la radiologie, scanners, IRM, etc., tout est neuf !Mais le plus grave, c’est sanitairement. Les urgences débordent de partout , si on ferme le service de l’Hôtel Dieu, surtout avant l’hiver, le temps d’attente va augmenter dans tous les services d’urgences. Pourtant, la littérature scientifique montre bien que plus les gens attendent plus ils meurent. Le rapport Carli, remis à la ministre le 30 septembre dernier, rappelle qu’une heure d’attente c’est 3% d’effets indésirables à la clé, l’attente augmente la morbimortalité. Qui plus est, ce sera la première fois qu’un service d’urgences de plus de 100 passages par jour sera fermé. Ça risque de faire jurisprudence.

Quel est le taux de passage aux urgences de l’Hôtel Dieu ?

Chaque année, on compte 45000 urgences générales, 45000 urgences médico-judiciaires et 30000 ophtalmiques. On est d’accord, certains personnes qui viennent aux urgences pourraient être vues par un généraliste. Mais cela ne représente que 10% des patients. Ce qui veut dire que 90% des patients justifient leur passage aux urgences. Et contrairement aux conclusions énoncées dans le rapport de la cour des comptes, si 80% des patients ne sont pas hospitalisés cela ne signifie pas qu’ils n’avaient rien à faire dans un service d’urgences. Car c’est une fois qu’on a fait un examen qu’on peut vous renvoyer les gens chez eux. Ce rapport est à l’opposé d’un raisonnement médical. Nous devons aussi faire des diagnostics négatifs, en éliminant par exemple une embolie pulmonaire, un infarctus, etc. C’est la démarche de la médecine d’urgence. Si on dit à 80% des personnes qui viennent nous voir restez chez vous et allez voir votre médecin généraliste demain, on va avoir des morts. C’est une régression sanitaire terrible.

L’enjeu pour le gouvernement est-il de faire des économies ?

Non, au contraire ça va coûter du pognon. Leur but est de faire une opération immobilière. En face de l’Hôtel Dieu se trouve le siège qui loge 1200 fonctionnaire de l’assistance publique. Mireille Faugère, la directrice générale de l’AP-HP, veut vendre le siège, récupérer une certaine somme d’argent pour la réinjecter dans l’Hôtel Dieu afin de réinstaller ces fonctionnaires. On va remplacer les malades par des directeurs d’hôpitaux. Évidemment, officiellement elle justifie la fermeture des urgences par la mise en place d’un projet de soins, intitulé l’hôpital debout, avec des consultations de médecine générale et de médecine spécialisée. C’est un paravent, ça n’a rien à voir avec un hôpital. On estime la vente du siège entre 80 et 130 millions d’euros et les travaux de l’Hôtel Dieu à 150 millions. C’est une opération économique qui ne tient pas la route. On pense que le véritable objectif est, à terme, de vendre l’Hôtel Dieu, un hôpital construit au coeur de Paris, une situation hautement stratégique pour un service d’urgences…

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