« De mémoire de militant associatif, on n’a jamais vu cela ! », affirme Jean-Baptiste Jobard du Collectif des associations citoyennes, à propos du nombre d’associations qui ont pris position contre la baisse des contrats aidés depuis l’été. « Il y a eu une avalanche de communiqués de presse, précise-t-il. Des structures dont les points de vue s’opposent se sont retrouvées d’accord. »
Les salariés associatifs ont aussi manifesté dans la rue, en particulier lors de la mobilisation nationale du 18 octobre lancée par le syndicat Asso et le Collectif des associations citoyennes (qui regroupe 1.500 membres dont la Cimade et AC !), puis lors de la journée du 10 novembre, avec Union Solidaires. Des manifestants en noir brandissaient des potences pour symboliser les dégâts humains de la diminution des crédits pour les contrats aidés.
Des compensations très insuffisantes
Si le gouvernement persiste, près de 260.000 emplois seront supprimés dans les secteurs jugés "non prioritaires", d’ici à la fin 2018 : un vrai plan social invisible. Début décembre, le syndicat Asso recensait déjà la disparition annoncée de 2.300 emplois d’avenir et contrats d’accompagnement dans l’emploi (CAE) – les contrats du secteur non-marchand (voir sa Carto Crise.
Le 9 novembre, le premier ministre a finalement rencontré des représentants des associations et lancé un "Plan de développement pour la vie associative". Celui-ci comprend quelques financements présentés comme compensatoires, dont 25 millions d’euros affectés en priorité au Fonds pour le développement de la vie associative (FDVA). « Cela reste insuffisant », estime Frédérique Pfrunder, déléguée générale du Mouvement associatif qui représente près de 600.000 associations.
L’ensemble des fédérations d’associations réclame une politique ambitieuse pour l’emploi associatif, qui soit dissociée de l’accompagnement vers l’emploi des bénéficiaires des contrats aidés. Une politique avec des financements pérennes qui permette des CDI, des CDD non dérogatoires au code du travail (comme le sont les contrats aidés) et des titularisations – dans la fonction publique. S’inspirer du Fonds de coopération de la jeunesse et de l’éducation populaire (Fonjep) qui finance déjà environ 5.000 postes de permanents qualifiés est l’une des pistes avancées.
Le service civique, substitut à l’emploi
Les contrats aidés sont en majeure partie utilisés par le secteur non-marchand : surtout par les collectivités territoriales, et ensuite par les associations (à hauteur, respectivement de 60% et de 40 %). Cette dernière part représente 110.000 salariés, une poignée sur l’ensemble des 1,8 millions de salariés associatifs.
Pourtant, ces professionnels jouent un rôle capital au sein de structures souvent minuscules, dotées d’un ou deux permanents. Ils assurent des actions d’intérêt général : crèches, aide sociale (enfants, sans-logis, réfugiés...), accès aux soins, aide judiciaire, droits des femmes, lutte contre les discriminations, solidarité internationale, laïcité, agriculture paysanne, protection de la nature...
Les structures dont les activités relèvent de "l’urgence sociale, du handicap et des quartiers prioritaires" continueront à bénéficier de contrats aidés. Et les autres ? Dans l’art et la culture, particulièrement visés, 75% des associations concernées seraient mises en danger selon l’Union fédérale d’intervention des structures culturelles (Ufisc) (voir son enquête). Devront-elles se tourner vers les "services civiques" ?
Le gouvernement veut, en tous cas, financer davantage de jeunes volontaires, indemnisés 570 euros par mois. Il veut atteindre la barre des 150.000 services civiques en 2018 (contre 92.000, en 2016). Le risque est de voir confier une fiche de poste à des 16-25 ans, certes en mission pour servir l’intérêt général, mais d’abord en "apprentissage civique" – une pratique relevant du travail dissimulé (lire "Service civique : éducation populaire ou sous-marché de l’emploi ?".
Un « laboratoire d’innovation pour la précarité »
Le Plan de développement pour la vie associative apporte une réponse paradoxale à la question de l’emploi associatif en mettant à l’honneur la "société de l’engagement" – autrement dit le bénévolat. Le numéro un du gouvernement a, en effet, annoncé la création d’une semaine nationale de l’engagement en été, d’un compte d’engagement citoyen (pour convertir le temps de bénévolat en heures de formation professionnelle), ou encore de plateformes numériques « afin de favoriser les nouveaux usages en matière d’engagement »...
Deux groupes de travail sont également mis en place, dont les premières réunions ont eu lieu le 13 décembre. Leur mission : faire des propositions en conseil des ministres avant fin avril, sur la "stratégie de développement des acteurs de l’économie sociale" et sur "l’innovation sociale". Ce dernier concept, en vogue, est porté par Christophe Itier, le haut-commissaire à l’économie sociale et solidaire et à l’innovation sociale, nommé en septembre dernier.
« Dans la novlangue néolibérale, l’innovation sociale, c’est celle du profit et de la concurrence, écrit le syndicat Asso dans un communiqué. La société civile, c’est celle des entrepreneurs (sociaux parfois). Tant pis pour ceux, y compris les travailleurs associatifs, qui pensent la solidarité comme une réalité, non-marchandable. » C’est ainsi que le secteur associatif est devenu un « laboratoire d’innovation pour la précarité des travailleurs », selon Florian Martinez du syndicat Asso.
Les Contrats à impact social apparaissent comme l’un des fers de lance de cette "innovation" à la sauce start-up. Ils consistent en une nouvelle forme de partenariat public-privé, calquée sur les Social Impact Bonds anglo-saxons : des associations qui mènent, par exemple, des programmes d’aide à l’enfance, de solidarité avec des personnes âgées ou encore d’insertion d’anciens détenus voient leur activité devenir une source de profit, notamment pour les banques (voir le document réalisé par le Collectif des associations citoyennes). Une façon d’imposer une logique de rentabilité à un secteur non-lucratif par définition, selon la loi 1901.
Construire « une conscience politique associative »
D’un point de vue global, le contexte est difficile pour les associations. « Il y a eu les baisses des dotations aux collectivités territoriales, nos premiers partenaires publics, rappelle Frédérique Pfrunder. Ensuite, la suppression de la réserve parlementaire qui permettait de financer des projets locaux. Enfin, la baisse des crédits d’intervention des différents ministères. »
Ajoutons à cela des politiques régionales parfois hostiles à l’indépendance des associations. Ainsi, Laurent Wauquiez en Rhône-Alpes-Auvergne a sabré dans les aides aux associations d’éducation à l’environnement ou au Planning familial, tout en offrant près de trois millions d’euros sur trois ans... à la Fédération régionale des chasseurs.
Le Collectif des associations citoyennes estime que le secteur associatif est attaqué en tant que tel. « La logique des ultralibéraux, explique Jean-Baptiste Jobard, est de réduire le nombre d’associations qui sont à leurs yeux trop nombreuses et ’’ingouvernables’’. En supprimant les contrats aidés, on détruit les petites et les moyennes associations, qui ne collent pas au schéma du marché. On aurait alors, d’un côté, d’énormes associations qui fonctionnent comme des entreprises et, de l’autre, des petites associations qui reposent sur le bénévolat. »
D’où la nécessité de construire une « conscience politique associative », au-delà des champs d’activité de chaque association. En Rhône-Alpes-Auvergne, le collectif inter-associatif Vent d’Assos s’y emploie depuis 2016. Un collectif Vent d’Assos Île-de-France lui a emboîté le pas.
Cet hiver, les associations poursuivent leurs actions pour conserver leurs salariés en contrat aidé. Certains comptent bien se rapprocher des collectivités territoriales et des mobilisations contre la loi Travail. Déjà, on annonce pour le printemps l’organisation d’un contre-forum en parallèle du premier Forum de la vie associative que vient de lancer le premier ministre.
La résistance ne s’annonce pas sous les meilleures auspices. Une bonne partie des administrateurs d’association met en œuvre des pratiques douteuses particulièrement dans la gestion de leurs salariés. Les conflits du travail sont assez nombreux dans ce secteur.
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